Par Marc Nottet
« Fatigué… Je suis fatigué ! »
Bernard était dans sa voiture. Il roulait depuis une heure en direction de l’usine où il travaillait comme intérimaire.
« Fatigué… Je suis fatigué ! »
Il n’avait pas beaucoup dormi la nuit car il avait travaillé dans un bar de son quartier pour arrondir ses fins de mois. Pour ne rien arranger, son meilleur ami, déprimant, lui avait raconté toutes ses histoires. Et Bernard l’avait laissé parler tout en pensant à ses propres problèmes.
« Fatigué !… Je suis fatigué !… Et ce boulot, si loin… Enfin, faut bien y aller pour gagner sa vie !»
Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa besogne ne l’enthousiasmait pas : le travail à la chaîne, les automatismes… il avait l’impression d’être une machine et non plus un être humain. Mais il avait besoin d’argent et bien que son contrat soit d’une période limitée, il voulait faire bonne impression dans l’espoir d’une proposition d’embauche à long terme.
« Fatigué… Je suis fatigué ! »
La voiture commençait à zigzaguer dangereusement…
« Bon ! Il faut que je m’arrête ! »
La voiture s’arrêta au bord de la route. Bernard en sortit et fit quelques pas. Comme il était un peu en avance sur son horaire, il décida de prendre un petit chemin qui s’enfonçait dans la forêt. Il marcha la tête dans les épaules, plongé dans ses pensées. Soudain, un oiseau le frôla. Surpris, Bernard redressa la tête et le vit faire un demi-tour pour revenir vers lui. Bernard s’immobilisa. L’oiseau se posa sur branche à proximité de lui, le regarda et ouvrit son bec :
« Toi, t’as pas l’air en forme ! »
Bernard le regardait, incrédule.
« Fais pas cette tête-là ! continua-t-il. Tu n’as jamais vu un oiseau qui parle ?
Bernard était étonné d’entendre cet oiseau.
– Non… lui dit-il timidement.
– T’as vraiment pas l’air en forme ! Tu fais une drôle de tête ! relança l’oiseau.
– Fatigué… Je suis fatigué !… Ma vie est stressante. Je n’en peux plus. Mais comment se fait-il que tu parles ?
L’oiseau lui répondit alors :
– Je suis un roitelet, un messager des dieux. Viens avec moi ! Je vais te montrer quelque chose qui va te faire du bien. »
L’oiseau s’envola dans la forêt et Bernard, subjugué, le suivit. Après un certain temps à marcher à travers bois, il atteignit une clairière au centre de laquelle se trouvait un arbre majestueux. Le roitelet se posa sur son épaule et lui dit :
« Tu es arrivé. Attends quelques instants et tu verras ! »
L’oiseau s’envola haut dans le ciel. Bernard le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il paraisse trop petit pour le distinguer.
C’est alors qu’il entendit un bruissement dans les feuillages derrière lui. Il se retourna et vit une horde de sangliers s’avançant lentement vers lui. Au milieu d’eux figurait un être de lumière resplendissant. Bernard, figé par l’émotion, regardait cette femme d’une rare beauté. Elle était vêtue d’une robe blanche et ses cheveux roux bouclés tombaient sur ses épaules nues tout en caressant son visage. Ses yeux bleus se posèrent sur Bernard avec douceur :
« Bonjour Bernard !
– Vous connaissez mon nom ? demanda-t-il intrigué.
– Je connais beaucoup de choses ! » lui répondit-elle d’un air malicieux.
– Mais qui êtes-vous ? » demanda Bernard.
Elle lui dit alors :
– Je m’appelle Arduinna. Je suis la déesse de l’Ardenne, l’incarnation de l’Esprit de la forêt.
Bernard était ému par cette apparition divine. Il était séduit par sa beauté. Il ressentait les vibrations d’une intense énergie émanant de la déesse.
– Pourquoi vous montrez vous à moi ? Que me vaut cet honneur d’être ici avec vous ?
Arduinna lui répondit :
– En vérité, je ne t’ai pas choisi. C’est toi qui es arrivé jusqu’à moi car il y a quelque part à l’intérieur de toi cette volonté de connaître autre chose que ce que tu vis pour le moment. Les hommes d’aujourd’hui, dans leur vie superficielle, ont perdu la connaissance que leurs ancêtres possédaient : savoir vivre en harmonie avec la nature en se nourrissant avant tout de l’amour de la Terre. Tous les maux que t’apporte ta vie actuelle t’étouffent. Je vais te montrer comment te ressourcer dans l’énergie de la Terre… »
La déesse invita alors Bernard à la suivre. Elle l’emmena près de l’arbre au milieu de la clairière. Il était imposant. A en juger par sa taille, il devait être très vieux. Ses branches s’écartaient tout autour de son large tronc et caressaient de leurs feuilles Arduinna et Bernard.
Elle lui dit :
« C’est un chêne, le Roi de la forêt. Il canalise en lui une énergie formidable. Embrasse son tronc et pose ta tête contre afin de communiquer avec lui et de ressentir sa force. »
Bernard s’exécuta, enlaça l’arbre et posa son visage sur l’écorce craquelée. Un intense bien-être aussitôt l’envahi.
Arduinna lui dit encore :
« Les ancêtres connaissaient la force du chêne. Ils savaient aussi apprivoiser l’énergie de la Terre et la concentrer en des points précis. Ils élevaient notamment des cercles et des alignements de pierre qui leur servaient pour mieux la recevoir en eux. Toute cette énergie entre en toi et nourrit le don que tu possèdes. Comme tout homme, tu possèdes un don précieux, un don inné qui te servira tout au long de ta vie. C’est à toi de puiser l’énergie de la Terre et de t’en nourrir afin de découvrir ton don et de le faire grandir. Voilà les quelques enseignements que je puis te donner. Tu ne pourras découvrir le reste que par toi-même. »
Subitement, Arduinna s’évapora et seul un parfum de rose persista dans l’air. Bernard s’écarta doucement du chêne. Il était abasourdi, ne pouvant contenir le flot d’émotions envahissant son esprit. Il pleurait.
Peu à peu, une quiétude l’envahit, accompagnée d’un sentiment de nouvelle prise de conscience et de confiance en soi. Il retourna lentement jusqu’à sa voiture et se remit en route dans la direction opposée à l’usine. Il savait qu’il n’y retournerait plus. Il n’était plus fatigué. Sa vie avait changé.