Par Marc Nottet, histoire à raconter lors de la veillée de Samain.
Avez-vous déjà entendu parlé de Ghislain l’Ardennais?
Il est vrai que depuis son grand départ, les gens ont eu tendance à l’oublier…
Ghislain était un homme du Pays de Salm, cette belle région en Haute Ardenne. Et ce furent les gens d’ici qui lui donnèrent son surnom : l’Ardennais.
On l’appela ainsi car… Il était plutôt taiseux. En fait, on ne l’entendait pour ainsi dire que lorsqu’il récitait ses poésies sur la nature, sur son Ardenne si belle et si mystérieuse. Souvent, il racontait de vieilles histoires des ancêtres païens qui priaient la nature comme l’on prie les saints, qui festoyaient à l’automne tout en prévoyant une part du repas pour les défunts, qui s’enivraient de vin de miel et de plantes pour se rapprocher des dieux…
Mais pour les gens du Comté, quelle hérésie que tout cela! Ils ne pouvaient comprendre Ghislain, cet homme qui, on ne sait comment, avait appris des connaissances très précises sur les anciens Ardennais, les Celtes d’hier.
Ils ne pouvaient le comprendre et ils eurent peur de lui. Au pays des macralles, il était évident qu’une personne qui tient de tels propos soit habité par un quelconque esprit malin! Peut-être même Ghislain était-il l’incarnation du Diable qui, par de subtils moyens, allait mener à lui les filles des villages aux alentours pour les transformer en sorcières?!
Il était temps d’agir. Le soir du dernier jour d’octobre, un groupe de jeunes hommes téméraires vint frapper à la porte de la chaumière de Ghislain. Le but était clair: il fallait le capturer et l’emprisonner en lieu sûr pour qu’il ne puisse plus avoir la moindre influence autour de lui et qu’il avoue son mal, sous la contrainte des plus terribles épreuves s’il eut fallu!
A l’intérieur de la chaumière, personne ne répondit. Personne ne vint ouvrir la porte… Dans l’obscurité naissante de ce soir d’automne, le courage des hommes faiblissait mais il décidèrent tout de même d’entrer.
La maison était vide. Sur la table, un bol encore chaud et quelques miettes de pain… Sur le sol, des feuilles de chêne semblaient indiquer un chemin vers une porte donnant sur l’arrière de la bâtisse, côté jardin. Ils sortirent par cette porte et, dans la lueur du crépuscule, ils virent un cerf majestueux qui les fixa avant de détaller dans les buissons puis la forêt toute proche.
Ils en étaient sûrs, le cerf, c’était Ghislain. Sans doute s’était-il métamorphosé grâce à une incantation dont il avait le secret… Il s’était transformé en roi de la forêt, comme pour leur signifier toute la noblesse de sa science. Et grâce à sa magie, il s’était échappé, se dérobant ainsi à la justice et aux sévices de ses détracteurs.
Depuis lors, plus personne ne revit Ghislain l’Ardennais. La légende raconte qu’il est devenu un esprit immortel, pèlerin de ce monde, cheminant sur les sentiers d’Ardenne… On dit aussi que, chaque année au dernier jour d’octobre, il n’est pas étranger au fait que les antiques traditions reviennent, et avec elles, les esprits pour nous hanter et nous enchanter…